mardi 20 janvier 2015

[L'ENIGME DU ZEBRE]

Roman : l'Adversaire
Chapitre 3 : l'énigme du Zebre 
Auteur : Etali Yo 



J’ai débuté mon cursus universitaire l’âme fleurie d’épopées estivales.
Quitter le vortex familial fut une experience inoubliable.
Je dévorais la vie, chaque instant était vécu avec la sensibilité d’un nouveau né.
Chambre universitaire, cite U, bibliothèque, nouvelle ville, plus grande, plus peuplée, plus de beaux garcons… d’hommes Noirs.

Oui … c’est la première chose à laquelle j’ai songé lorsqu’on m’a annoncé que j’étais prise dans cette faculté de medicine… Une ville multiculturelle , une capitale, sortir de mon trou et découvrir des Noirs. Ne plus les voir au travers des vitres de la voiture de mon père , determiné à m’en éloigner.

Quand je repense à cette époque, je vois tout le chemin parcouru. J’en ai bouffé du Noir.
Boulimie de poissons chats, orgie de pagne, billets d’avion pour la terre mere , sauce au wolof, coulis de lingala , Milk shake d'encens et de fufu , quand j’observe mon parcours , je realise à quel point je reviens de loin.

Médecine. Première année.
Les cours n’avaient pas encore débutés que mes oncles et leurs amis médecins s’étaient réunis autour de moi et m’avaient exprimés avec des regards emplis d’une gravité pesante, l’importance de la mission qui m’était attribuée: “tu dois nous revenir dans quelques années avec ce diplome, l’échec n’est pas une option”
Ils m’entouraient en un cercle angoissant.
Leur souffle dans mon dos et la lueur dans leurs yeux soutenaient mon esprit , comme un troupeau d’éléphant, c’est toute l’énergie de ma famille qui m’était transmise.
Après l’éternel discours de mon oncle sur la place de lhomme Noir dans le pays des Blancs, après l’éternel rappel du racisme qu’ils avaient subit, surmonté, combattu, l’un d’entre eux se dressa devant moi.
C’était le Tonton Américain.
Son regard perçant raisonna dans mes entrailles, il prit ma tête et la serra entre ses deux mains posées sur chacune de mes oreilles.





Il repeta : “ Akeza , tu dois nous revenir dans 7 ans avec ce diplôme, l’échec n’est pas une option”.

Le silence qui suivi me permit d’observer son regard cruel, attendant de moi la confirmation du programme.
Instinctivement, je glissais en expirant tout mon stress : “l’échec n’est pas une option”

Un étrange sourire vint écorcher son visage.
C’est des années plutard, lorsqu’il me ramasserait à la petite cuillière , que je prendrais connaissance du parcours de cet oncle americain.
En attendant, je vivais ce moment comme une étrangeté, et je ne comprenais pas le sérieux de cette reunion.

L’échec n’est pas une option. Etre Noir dans le pays des Blancs. Arracher sa place pour ne pas subir la folie des racistes. Etre assez riche pour être considéré comme des humains et non comme des bêtes.

Je m’y suis mise.
Il n’y avait ni boîte de nuit, ni de cours manqués, ni de grasse matinée.
Il n’ y avait que cette jeune fille de 18 ans, et le combat contre l’échec.

“ Évite les étudiants Noirs surtout les congolais, entoure toi de personnes fiables”

Problème… dans ceux qui étaient fiables, les machines de guerre qui se levaient à 5H du matin pour réviser, ceux qui après les cours allaient étudier jusqu’à 20H le cours vu Durant la journée… dans ceux qui m’entrainaient dans la lutte au 112 places sur 600 inscrits il y avait des Noirs et d’origine congolaise.




Sortant de ma campagne, j’ai vécu leur rencontre comme une renaissance.
Je les pensais “comme moi”.
Je pouvais parler de l’Eglise, ils n’allaient pas être choqués que j’y aille tous les dimanches, les mardi et parfois même les jeudi.
Je pouvais dire “ je n'ai jamais eu de copain” sans entendre “ tu es lesbienne?”
Je pouvais changer de coiffure sans susciter de tsunami autour de moi , ni meme de moquerie.
Je les pensais comme moi…. Européens mais amoureux transit du continent africain.
Bien que je ne savais rien de ce continent, par principe j’en étais fière, par principe j’avais envie de le visiter, et par principe j’comptais y travailler en tant que médecin.

D’où pouvait bien venir ces principes? Entre les phrases telles que “ évite les Noirs, ils ne sont pas fiables. Tu es trop intelligente et bien éduquée pour ne pas finir avec un Blanc”, comment cette conviction de fierté orgueilleuse avait elle pu se glisser?

La coupable était celle qui m’a porté. Elle et toute sa fraterie, toute sa lignée.
Du grand père à moi, il n’y avait eu aucune cassure.
Elle avait semé des graines , avait débattu avec son mari.
Je me souviens de cette discussion au salon, des années auparavant :
“ Ah Marceline , tu vois, les Hommes Blancs ont dompté le cheval, et ils en ont fait un outil formidable pour le développement de leur économie, mais regarde le Nègre, il n’a jamais songé à dompter le zebre”
J’avais vu ses yeux gonfler , prets à imploser… Je l’ai regardé. Qu’allait elle répondre?

“ Barthélemy, l’indocilité du zèbre est connue depuis des siècles, n’utilise pas ton ignorance pour nourrir ton mépris des africains. “

“ Le zèbre est indomptable ? c’est ça ton argumentaire? Oui quand nous les nègres n’arrivons à rien c’est toujours la faute de l’autre. “

Elle s’emporta. Tapa du pied, brandit sa Bible.
Il restait serein et paisible. Cette scène me frappa. Qu’importe qui détenait la vérité, j’observais que le plus calme avait une ascendance sur son adversaire. Si j’avais du l’importance de cet enseignement, je l’aurai intégré bien plus tôt dans mon mode de fonctionnement.

Cette soirée, je rentrais dans ma chambre universitaire affronter les 45 pages de chimie organique qui s’étaient incrustées sur mon bureau.
Ce fut ainsi Durant des semaines, des mois.
Déterminée, concentrée , il n’y avait aucune distraction, il n’existait qu’une unique ambition.
Faire partie des 112.

A coté de mes études, il m’arrivait néanmoins de dévier quelques heures, comme tous les autres. Ces moments j’allais faire les magasins , poser des tissages toujours trop longs, trop lisses, trop chers.







Et plus ils étaient longs et brillants, plus je me sentais refaite, embellie…parfaite.
Certains garçons jetaient des regard obliques sur moi, et avec une fausse retenue , je laissais quelques numéros de téléphone.
Je découvrais ce monde , moi la lesbienne de mon patelin, n’ayant jamais embrasser un seul mâle.
“La pucelle de la langue”. L’insulte préférée des villageoises blondes qui m’entouraient auparavant.

Mes copines du lycée m’envoyaient régulièrement des mails, au début… Puis doucement, on s’intégrait dans nos nouveaux systèmes, et je rencontrais de nouvelles folles, de nouvelles tarées avec qui planifier des sorties… quand les révisions devenaient trop pesantes.
Blanche , Elisa , Marie-France ( des congolaises et rwandaises… d’origine) , Arianne ( une metisse camerounaise) … Et tant d’autres hybrides afro nés et éduqués en France.



La cassure apparut lorsqu’un après midi d’hiver , nous cessions pour une fois de parler de médicine ou de mode.
Ce fut lors d’un tp de biologie, le professeur , un homme Noir, long, fin , grâcieux, le regard perçant, la voix apaisante… donnait cours pour la première fois.
Lorsqu’il commença à parler des propriétés biologiques de je ne sais plus quel organisme, Blanche pouffa de rire.
Elisa et Marie-France cachèrent leur visage , honteuses…
Arianne se retourna choquée du comportement de ses camarades.
J’entendis des bouts de phrases à peine perceptibles…
“oh la honte… l’accent de bledard qu’il a… purée trop la honte”.

J’observais Arianna, outrée.
A la sortie du cours, Arianna n’en pouvait plus, elle s’égosillait sur ses copines.
“ En fait , dans toute la pièce, y’a que vous qui riiez. Les Blancs calculaient meme pas son accent, là c’est vous les racistes! Le prof de chimie analytique, il a un accent de malade anglais, j’vous ai jamais entendu pouffer de rire”

Il s’en suivit beaucoup de bruit. Ce jour Ariane n’adressa plus la parole à ce groupe. Les délimitations se dessinaient.

Ce fut le début de la cassure.
Ces filles si appliquées en cours, si joyeuses, distinguées et toujours bien habillées, étaient tellement étranges.
Elles sortaient des punchlines inoubliables telles que “ jamais je ne sortirais avec un Noir, jveux dire, moi j’ai une certaine education, j’ai besoin de stabilité et de quelqu’un d’ambitieux, les congolais là? Je suis pas d’une classe sociale d’en bas.”

Et dans la partie du sexe opposé, à savoir les jeunes Noirs hybrides , étudiants en medicine…Le meme discours.
“ Jamais je ne sortirai avec une Noire, j’aurai l’impression de sortir avec ma mere. Et puis les femmes Noires voudront etre avec moi, parce que je suis médecin, elles sont matérialistes.”

Le volcan.
Je ne savais pas que ces mots torturaient mes plaques tectoniques, les percutaient entre elles, cherchant à faire jaillir les coulees de lave.
Je ne savais meme pas, que sommeillait en moi , autant de flammes.
Je ne savais pas que j’n’étais qu’une dynamite attendant l’étincelle pour que la mèche s’emballe.

J’avais quitté les reflexions rabaissantes et humiliantes de mes camarades Blancs, pour tomber sur ça…
Des Monstres à la peau foncée.
Des monstres de 18 ans, ignorants, et convaincus, que le Nègre africain fut trop bête pour dompter le zèbre.

L’année s’écoula. L’échec fut éradiqué.
Je faisais partie des 112.
J’ai pleuré. J’ai ris. J’ai sauté de joie.

Mes camarades aussi réussirent. Nous allions faire parti de l’élite. Des médecins.

Un soir d’été , avant d’entamer ma deuxième année de médicine, ayant l’esprit libre pour vaquer à d’autres questionnements, j’allais sur google , tenter de répondre à une énigme, celle du zèbre.

J’écrivis : “pourquoi l’africain n’a til pas dompté le zèbre “





Et sur les différentes propositions , une attira mon attention :
“la traite négrière , la falsification de l’histoire et le complexe de l’homme Noir”.
Il s’agissait d’un commentaire laissé sur un site traitant de l’histoire africaine.
J’ai cliqué. J’ai lu. Je n’ai pas cessé de lire Durant toute la nuit.
Je surfais de lien en lien et découvrais un monde inconnu qui semblait répondre à quelque chose… qui semblait parler à ma lave interne, la faire vibrer, la tordre, et la précipiter jusqu’à faire couler des larmes.

J’ai lu Durant des heures, des semaines… Jusqu’à trébucher sur la video d’un jeune homme au regard trouble.
Il s’appelait Kemi Seba et depuis ce jour, l'énigme du Nègre et du Zebre n'eut plus jamais le même sens.

J’avais 19 ans, et je ne savais pas les puanteries qui allaient parsemer mon chemin, les coups de putes, les guru, les menteurs, les tentations, les psychotiques, les assoiffés de pouvoir, les trahisons qui m'attendaient.

Mes propres erreurs, mes propres mensonges….
J'avais 19 ans, et il s'appelait Kemi Seba, j'avais 19 ans et n'avais jamais connu l'Afrique.


Auteur : Etali Yo


Pour lire le chapitre précédent : http://etaliyo.blogspot.fr/

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