Jalouse
Chapitre 1
Tout a commencé… En fait,
non je ne sais pas vraiment comment tout a commencé…
J’n’ai pas connu
l’Afrique, j’n’y suis même pas née. Comme Abd al Malik j’y ai passé un court
séjour dans ma petite enfance… mais la comparaison avec cet artiste s’arrête
là.
Moi depuis mes 11 ans,
j’sais pas pourquoi, j’demande à mon père : « On y va quand ? On
va quand voir Kinshasa ».
Jamais on n’a pris
l’avion.
Et chaque été, même
paysage à Sartrouville. Même cousine , même prise de tête avec les Tantes, mais
des souvenirs inoubliables.
J’me souviens , lorsque
Noella , à nos 14 ans, s’est faite grillée flirtant avec un garçon du quartier
, Tante Malu… est restée silencieuse… calme, bien trop
calme.
Pas de ceinture, pas de
coup, pas de cri… Suspicion…
Et puis , la fin des
vacances, je repars dans ma province Française , bientôt la rentrée , je quitte
les cousines et Sartrouville.
Le soir du premier jour de
cours, Noella m’appelle en larme. Sa mère lui a rasé les cheveux pour être
sortie avec un mec, et aussi les sourcils en guise de supplément car le gars
était un Sénégalais… Tante Malu n’aimait pas les Sénégalais.
Ils s’étaient juste
embrassés, j’avais dit à ma mère, qui en soutient à Tante Malu a répondu
« à partir du moment où il y a un homme et une femme seuls dans une
maison avant le mariage, ils ne sont pas
2 mais 3 ; le diable est présent ! »
C’était Savana, Sunset
beach et Dallas, la vie de mes oncles et tantes.
Discrète, j’ai jamais
vraiment dit ce que je pensais, j’me demande même si je pensais.
J’étais juste là. Eglise,
mariage, télé, copinage. Juste là, ni habitée de sentiments trop hauts, ni trop
bas.
Mais ce jour-là, au lycée,
j’sais pas ce qui m’est arrivé. On était dans la cours , pause du midi. Assis
sur un rebord de muret, j’accompagnais mes « camer » fumer leur
saloperie de cigarette.
Y’avait cette blonde
devant nous, richissime, qui racontait comme elle était dans son ranch en
Afrique. Elle expliquait que là-bas, elle faisait ce qu’elle y voulait, qu’elle
pouvait entrer en boite sans être bien habillée, que tous les hommes n’avaient
d’yeux que pour elle.
Y’a un grand noir , planté devant elle, en
baggy jeans et large t shirt rouge, il était métissé , un peu clair, yeux
verts, j’ne sais plus … il lui a répondu : « Ouais mais les femmes Blanches
nous attirent énormément, tu vois vous avez les yeux de couleurs différentes, bleus,
verts, brun clairs, ce n’est pas répétitif, alors que voilà quoi … »
Sarah a toussé à côté de
moi.
Il s’est rendu compte
qu’il y avait une brochette de filles Noires à 8 m de lui. Le mec nous toise.
Tchiiiip.
En province française, y’a
pas assez de Re-Noi dans les lycées, du moins
à mon époque, et dans cette ville, certains de nos « frères »
n’avaient pas assez de menace sur leur tête à défaut d’avoir de la dignité.
Le jeune lycéen a
continué…
« En plus vous avez
de vrais et beaux cheveux, avec les Renoi
on est toujours surpris au pieu »
Estomaquées, on a à peine
pu ouvrir nos bouches, pour tenter de répondre un truc à son missile, ne fut ce
qu’une petite pierre comme les gazaoui envers israel…, qu’elle nous regarde et nous lance, l’œil pétillant :
« Ah ouais les filles
c’est vrai vous portez des rajouts…c’est comment déjà ? on vous a
cousu ? »
C’est un peu trop loin
pour que je me souvienne des détails, mais les filles autour de moi se sont
mises à parler, parler, d’abord avec la Blonde, puis avec le jeune métis, puis
un autre Blanc s’en est mêlé , rajoutant entre deux tafs de sa clope
« Eh les filles,
faites pas vos Malcolm x, vos pères sont médecins, vous vous êtes cru dans un
film , on ne vous a pas fouetté ».
Là c’est encore monté, les
filles se sont levées, Sarah a jeté sa cigarette en colère, s’est approchée du gars
qui s’était incrusté, ils ont palabrés, elle levait les bras, tournait ses
mains autour de la tête du gars, il lui a répondu
« Tu t’es cru dans
le prince de bel air, une noire du ghetto , Latoya ? »
François, un lycéen
communiste, a traversé l’entièreté de la cours, pour venir nous
« défendre » , il avait sorti son écharpe Yasser Arafat, et portait
son T-shirt Che Guevara. Partout où le peuple Noir souffrait il se devait d’être
là… Depuis qu’il était parti planté des arbres au Burkina Faso et avait couché
avec une fille de là-bas, il se sentait investi d’une mission à notre égard. ..
Yaza le métis comorien a
cessé de rouler son joint, il a sifflé
pour que Mohammed vienne assister à la scène.
« Il parle de pieu,
mais ce Noir fragile il s’est tapé personne, tu parles tu parles, avec ta
grosse bouche mais » …
Sarah était blessée, et
elle jetait des petites pierres de gazaoui , hors sujet total par rapport au
missile.
Moi… j’disais rien. J’regardais la Blonde.
Elle nous scrutait sans inhibition , avec un sourire au coin de la lèvre
droite. Oui…c’était la droite. Elle tira sur sa Marlboro , et déposa son regard
dans le mien.
C’n’était pas n’importe
qui.
On avait eu quelques
accrochages… Quand j’suis arrivée nouvelle dans ce patelin, j’étais
l’attraction exotique du moment, ça fait bien une amie Noire en plus d’un ami
gay.
On s’était prise la tête,
pour une histoire de garçon , elle s’était tapée un mec en couple avec ma pote…
allégeance amicale, j’l’ai jetée. Depuis, plus de contact.
Mais ce jour-là, il
n’était pas question uniquement d’elle.
C’est l’ensemble du lycée
que j’ai aperçu à travers son visage amusé.
Elle était à l’aise en France, elle était à
l’aise à Kinshasa.
J’étais immigrée en
France, c’est vrai, scolarisée dans une bonne école, entourée de camarades
fortunés, mes parents se saignaient pour que j’ai la meilleure éducation.
Mais après les sacrifices,
il restait rien pour chiller. Je m'en plaignais pas. J’constatais, que c’était
serré la vie en France, et qu’au pays , on m’a fait comprendre depuis longtemps
que seul le chaos nous y attendait.
C’était pas Sarcelles,
c’était pas Sartrouville où je retrouvais le reste de ma famille. C’était pas
les tours et les cages d’escaliers, c’était la confrontation quotidienne avec
le privilège.
J’ai eu ce flash , ce
sentiment d’avoir été dépossédée de quelque chose.
Que ma part du gâteau,
quelqu’un d’autre le mangeait.
Cette pensée m’a envahie,
je sais pas d’où elle est venue. Mais j’étais jalouse.
J’voulais moi aussi,
partir chaque été dans ma villa à Kinshasa. Etre bien chez les autres, et en
place chez moi, avoir un héritage familial, des maisons et des vieux châteaux.
Etre partout en vacances,
partout en confiance.
Oui ce jour-là, j’ai eu un
accès de jalousie, j’avais 17 ans.
Le soir, après une journée
de cours éreintante, terminale S, option mathématique, où je galérais pour la
préparation du bac, j’ai pris le chemin de la maison.
J’étais avec mon petit
frère , Gédéon, 10 ans, 4è de la dynastie Akeza.
J’ai toujours été proche
de lui, comme une petite mère, j’aimais lui poser des questions sur sa journée.
Il n’avait pas peigné ses cheveux, alors je cherchais l’arme fatale pour
régulariser sa touffe, quand le « gendarme suprême » allait nous voir
débarquer au soir, il fallait qu’il soit dans les rangs.
« Met de la crème
Gédeon.
-Pourquoi ? mes potes
ne mettent jamais de crème, pourquoi on m’oblige ?
-Parce qu’un noir sans
crème , c’est moche, il n’y a que les Sénégalais qui font ça. Tu ne veux
pas être gris comme un ouest af j’espère ? »
… Ouais… j’étais conne. Je
répétais ce que j’entendais …
J’lui ai sorti une vieille crème plein de parabène
et d’autre pétrole.
Le pauvre gamin… elle
était légèrement éclaircissante… avec de l’hydroquinone. C’était l’époque où je
ne lisais jamais les notices de ce que je consommais… l’époque où je n’avais
pas encore découvert la beauté des sénégalais… l’époque où quelque chose
sommeillait en moi, mais que je ne cernais pas.
Sur le chemin de la
maison, y’avait Maliya , Khadija, Sarah, Nuna , Petrolla et Blanche. Une partie
du Saïan. C’était le surnom de notre
crew. Une rousse, une rebeu, des métisses et des Noires. Les moins riches du
lycée. Quoique Nuna et Petrolla étaient pas mal privilégiées. J’avoue, chaque
été, elles aussi allaient à Yaounde.
Suite à la dispute au
lycée, elles n’en pouvaient plus, et parlaient encore et encore du fameux
« avec les Renoi on est toujours surpris au pieu ».
Elles aussi, elles
l’avaient leur villa en Afrique. Elles avaient quelque chose de plus que moi…
elles avaient un héritage.
Khadija a voulu nous
« aider »
-
« Nah mais faut dire que vous les Black, vous avez pas
de chance. Esclavage et colonisation, les Blancs ils se sentent supérieurs,
alors que nous, ils ont un peu de respect. Nah mais crie pas, le prend pas mal,
mais nous on a été jusqu’à Poitiers , tu vois on a l’Islam et l’empire Arabe. Vous,
vous avez rien fait à part être des victimes…c’est triste ouais, mais voilà
quoi…c’est normal après qu’il y ait des gens qui vous…»
Nouveau missile. Il était explosif celui-là…
Khadija s’est faite
ramasser par Petrolla, elles se sont mises à crier… Mais Petrolla répondait par
égo et orgueil sans savoir quoi retorquer, puisqu’elle ne savait rien de notre
Histoire.
Après ce jour, elles
s’évitaient.
J’suis descendue du bus,
pour rejoindre mon cœur, mon frère, mon meilleur ami.
Arthur. C’était toujours
un intense moment de détente que d’être à ses côtés.
Il avait ses vieilles
locks faites sur cheveux fins de caucasiens, j’me disais toujours que les locks
c’était pour les blancs hippies et les Noirs sales, je l’appelais « bob
marley »
Et lui me gazait toujours
en me nommant « Beyonce».
Les noirs sales portent
des locks… tchip … mais qu’est-ce que j’étais …
Arthur, Gedeon et moi, le
long de la grande route. Nos maisons étaient séparées par une sorte d’immense
champs, et on s’attendait le matin et le soir pour débuter ou finir le chemin.
J’pouvais rester des
heures à ses côtés, sans énoncer un mot.
C’était mon havre de paix.
Avant de rentrer à la
maison, je suis passée boire un chocolat chez ses parents. Il y avait leur
cousin Fabrice, qui revenait de Kinshasa. Il nous a parlé en lingala…
j’comprenais pas, j’lui ai dit. Il a ri, il a dit « vous êtes devenus
Blancs et moi plus Noirs que vous »
On est rentré. Sur la
route, Gédeon cachait son visage sous une écharpe.
« - Gédeon je t’ai
grillé ! pourquoi pleures-tu ? »
Après avoir hésité avant
de répondre, il m’a glissé « Fabrice il parle lingala, et moi je ne sais
même pas dire un mot… »
C’est vrai. On est
interdit de parler Lingala depuis notre arrivée en Europe.
Ce soir-là, j’étais
triste. Je l’avoue. Mon père regardait attentivement les informations. Il
attendait la minute Afrique pour avoir des nouvelles … et ne partageait pas ce
continent avec nous. Un frein à l’héritage.
Comme chaque soir,
j’allais dans ma chambre, et je lisais Emile Zola , « la bête humaine », j’étais
passionnée par la dynastie des Rougond-Macquart. Il y avait plein de Tantes à
la maison , plein de femmes Congolaises de l’Eglise. Elles piaillaient comme
des cailles. Je les entendais l’autre
bout de la maison.
Mon nom a retenti. J’ai fait
semblant de pas entendre, jusqu’à ce que Gédéon toque et me force à descendre.
J’devais préparer le fufu pour mon père, mettre la table, le servir…
« oui maman je mets
pas le pondu avec le riz, dans des plats différents, c’est bon… »
Une tante s’est exclamée
«
-
Vous les enfants d’Europe, vous manquez de respect !
Une autre s’y est mise,
puis toutes… Je ne sais même qui parlait, j’avais le dos tourné , concentrée
sur ma semoule.
« - Tu vois que ton père n’a pas mangé
et tu ne descends pas pour préparer ?
- Elle
lisait surement
- C’est vrai
que Christelle lit beaucoup, vous savez elle a 18 de moyenne, c’est une intello
, elle ira loin.
- C’est toi
aussi qui dessine ? Oui des tableaux et tout.
-Hum
l’enfant là finira avec un Blanc , elle
a toutes les qualités, pourquoi pas avec Arthur ?
- Le sale
là ? avec ses machins dans les cheveux ? Nooon ! »
Finir avec un Blanc ?
Parce que j’aime lire et que j’étudie régulièrement… Qualité ? Association
directe avec mari Blanc ?
J’suis entrée au salon
avec les plats chauds en main. J’ai regardé mon père. Il s’est levé dignement,
fatigué, mon père si magnifique.
Il me sourit en sentant
l’odeur de la bouffe. Me remercia lorsque je le servis, puis alla lui chercher
de l’eau et une bière. Il se lava les mains avec la bassine que j’avais mise à
ses côtés, et je lui essuya les doigts avec une serviette. Tout ce faisait
toujours en silence. Il pensait. Je pensais. Mais à cet instant, je lui
glissa :
« Pourquoi les Blancs ont droit à tous les privilèges ?
-
Oh ! Mais ne vois-tu pas que tu as plus de privilèges
que de nombreux Blancs qui vivent dans la rue ! Tu as un toit, à manger,
une éducation. Non là je ne suis pas d’accord.
-
On est les seuls de la famille à avoir une maison , Papa,
tous les autres cousins sont à 4 dans la même chambre.
-
Peut-être suis-je le seul à avoir travailler pour en arriver
là !
-
Les Noirs ne travaillent pas ?
-
Très peu se donnent les moyens pour y arriver … la plupart
sont des délinquants qui passent leur journée à tenir les murs !
-
Et quoi… nous on n’est pas comme eux ? Nous on se
rapproche du Blanc ? c’est ça, consciencieux, travailleur, organisé,
ambitieux, pendant que le reste des Noirs est médiocre.
-
Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Christelle ??? »
Il regarda mes mains. Je
tremblais. Tremblais de colère. J’allais pleurer. Les larmes allaient couler.
Pas d’écharpe pour me cacher. J’ai quitté le salon.
C’est ce jour-là que ma
jalousie m’a envahi, je ne savais pas quoi en faire. Je n’avais personne pour
m’en parler avec des mots matures, l’empêcher de devenir haine et frustration,
l’empêcher de pourrir mon âme. Personne pour me dire , qu’il ne faut pas en
vouloir aux autres, que c’était moi la jalouse, que je devais le comprendre et
le gérer.
Personne pour me parler de
mon héritage africain, personne pour comprendre que m’amputer de tout un passé
ne faisait de moi qu’une frustrée angoissée.
J’étais seule, et jalouse.
Ouais… c’était à peu près là le début.
Avant que je ne quitte la
maison pour mes études , et que je sois seule dans ma nouvelle ville, loin de
toutes mes Tantes, mes Oncles. Juste mon téléphone, internet et ma tête.
© Le Nouvel Africain
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