jeudi 26 mars 2015

SOUS PRESSION

Roman : l'Adversaire
Chapitre : SOUS PRESSION
Auteur : Etali Yo


Noir. Africain. Sans papier.

Noir. Immigré. Réfugié.

Noir. Allocation. Huissiers.

Noir. Regroupement familial. Sorcellerie.

Noir. Expulsion. Mise en demeure.

Noir. Schizophrénie. Hypertension.

Noir de France , Noir du monde.


Avant les gouvernements et les terroristes, avant les colons et même Satan , il y avait un plus grand obstacle.

J’essayais. Je m’accrochais :  étude, examens, lectures, conférences.
Comme un marathon sans chaussure, pied nu tel un  soldat d’Hailé, je devais arpenter ce périple.
Les privilégiés ne savent pas, je le dis , les privilégiés ne savent pas ce qu’est le désarroi et l’étau de nos vies. Les privilégiés n’imaginent pas que les coups de massues se déclinent dans chaque aspect de nos vies , que les griffures associées aux morsures nous tyrannisent.
Il n’y a pas de pause. Nous vivons ces vies d’Africains, de Noirs hybrides , de Noirs de France, de Belgique ou d’Allemagne, sous pression quotidienne.
Je m’en suis rendue compte lorsque j’eus 23 ans.  Je vivais mes réflexions vis-à-vis de l’Afrique et de la situation de mon continent au campus universitaire, entre 2 révisions de biochimie quand mon  téléphone a sonné.

 Et le monde s’est mis à trembler .

Depuis il n’a plus jamais cessé... m'apprenant à l'affronter avec mon plus grand sourire.

Enfant, les problèmes étaient réceptionnés par les autres membres du troupeau , je recevais des éraflures , et des bris de lames.

Comme un nouveau-né   antilope , j’avais appris très tôt à courir et à détecter le prédateur.

J’étais l’ainée d'une fraterie de 4 enfants. J'étais suivie de trois frères , Jacob , Henoc et Gedeon , agés respectivement de 21 , 19 et 16 ans. Le dernier me considérait comme sa petite mère...  Et sur mes épaules je portais la misère de ma mère, les sacrifices de mes grands-mères, les torpeurs de mon père, les rêves inachevés de mes oncles, les sueurs de mon grand-père.

J’étais le futur portefeuille qui  soutiendrait les projets d’un père fatigué, désorienté, aveuglé par sa soif d’argent.

Ses désirs irrationnels de fortune sur base de dette, de promesse, de projets chaotiques.

L’homme Africain amputé de sa dignité, aveuglé par les strasses et le matériel du Blanc, sans chercher à bâtir en premier lieu les fondements de l’empire.

Une muraille de paille qui s’effondre au premier vent , après tant de sacrifice, d’abnégation et de travail … Pourquoi les forteresses de la génération précédente sont-elles si fragiles qu’elles se brisent sur nos nuques et nous plient sous leur poids ?


Un hurlement fait de la somme de nos râles et soupirs quotidiens s’élève souvent dans le calme de l’Occident.

Les privilégiés ne savent pas.


J’ai agrippé le téléphone,  resserrant le  poing comme pour freiner  la transmission.
Et lorsque le combiné a embrassé mon oreille , c’est un tsunami de mot, un jacassement de son, une panoplie d’horreur qui ont commencé leur danse éternelle.


Eternelle danse de problèmes... avec laquelle je valse toujours vêtue de mon plus beau sourire...

J’ai cru un instant qu’épouser un homme Blanc m’éloignerait de ces tumultes. Je n’étais pas la seule à être traversé par cette idée que les foyers des Occidentaux Blancs, étaient plus calmes et harmonieux que les nôtres , Occidentaux Noirs… Car où que nous allions, fuyons, exilions … l’Afrique a ce pouvoir de nous assoir à sa merci.

Il suffit que nous lui laissions une infime partie de nos sentiments qu’ils soient d’amour ou de crainte, ce continent réussit à nous contrôler et nous extorquer.

Sarah me rapportait  que sa mère bien qu’ayant épousé un homme Blanc, envoie régulièrement de l’argent au village afin que le sorcier de la famille cesse de la griffer la nuit…

J’ai demandé à Sarah  comment était-ce possible que sa mère, une scientifique redoutable croit à ses balivernes…Elle m’a lancé un regard d’opprobre et m’a glissé sèchement sans autre forme d’explication, qu’il fallait être bien naïf pour ne pas croire à la sorcellerie.

Et quand bien même il n’était pas question de magie et de fétiches, quand bien même nous étions éduqués sans aucun contact avec le pays, nous les observions… s’agiter sur leurs combinés.
Western Union. Parcelle envahie. Routes coupées . Plus de nourriture dans la moitié de Kinshasa.


Ce jour-là , les problèmes  ont commencé leur Ndombolo suivi d’un Twerk endiablé.
Les huissiers  étaient à la porte de la maison à crédit que mes parents avaient réussi à contracter.
On me demandait de retirer 500e sur ma carte Visa, d’aller en découvert et d’envoyer le jour même la somme afin de les empêcher de partir avec des meubles.


« Mais Maman , Papa est médecin, pourquoi il ne sait pas donner cet argent ? »


C’est à cet instant que le rideau s’effondre en un tas disgracieux sur le sol de nos vies.
Nos pères si stricts et sévères, si inquisiteurs et généreux en remontrances , vivaient dans une folie aveugle qui n’avait qu’un seul objectif : réunir l’argent.

Et leurs enfants, et leur femme, et les priorités fondamentales à l’homéostasie familiale étaient bafoués par des pères obnubilés à l’idée de devenir aussi riche que le maître…  dans son système… et sur sa terre…

Nos pères prenant des crédits dans les Banques des anciens Colons, pour financer des projets concurrents..Nos pères demandant aux Occidentaux les outils pour créer des structures efficaces et indépendantes des leurs … ces mêmes pères critiquant  des  politiques européennes soit disant  d’asservissement .Nos pères obsédés par le paraître une fois de retour au pays, qui n’ont d’objectif que de construire une énorme villa pour montrer leur réussite au Nord.

Et nos mères épuisées qui rament à leur côté, colmatant les brèches et gardant le navire à flot.

«  Tu n’as pas payé les impôts durant 5 ans ? et les assurances ???? Comment cela tu n’as pas payer les échéances du crédit ? Mais pourquoi  Barthelemy ? Pourquoi nous fais-tu cela ? Tes projets demandent-ils que tu sacrifies ta famille ? 20 ans que tu jettes ton argent auprès d’associés véreux qui te trahissent ! Comment Peux-tu faire des affaires au pays, sans être au pays ? comment peux-tu faire des affaires sans signer de contrat ?
Et pourquoi commences tu toujours avec des grandes sommes ? Tu sais ce que tu fais ? Tu oses me dire que tu sais ce que tu fais ??? Vingt ans que tu sais ce que tu fais !!!»


Il hurle. Il rugit. «  Quand j’aurai gagné ce pactole, tu cesseras de me manquer de respect ! »

Nos mères qui se courbent au travail , infirmières ou aides-soignantes , elles lavent et  portent sur leur vertèbre les manquements de leurs maris , de leur père, de leur frère.
ci ou là-bas… mais cela je ne le savais pas encore, les femmes africaines courbent deux fois l’échine.
Une première fois à la dureté de la vie, la seconde fois face aux péripéties de leur époux.
Elles le font une Bible sur le front, un Coran dans le poing , un autel aux Ancêtres dans le coeur.

 Puis… pour les grandes occasions et face au monde, elles brandissent leurs plus beaux pagnes , aux motifs de fiertés et de dignité, et elles avancent, hautaines ou réservées, mauvaises ou résiliées.
Et elles avancent , nous les suivons, elles récoltent les coups et les bavures, mais continuent , nonchalentes , dans les cris de prières, le recueillement d’une mosquée , dans les fastes et le makrellage.

Imparfaites mais si réelles , distribuant des coups envers les neveux imposés dans leur foyer,  balançant de l’eau de javel dans le regard insolent d’une belle fille issu du mariage précédent, rasant la chevelure d’une nièce , mettant du piment dans l’anus d’un fils trop agité.

Et lorsqu’elles tabassent à la ceinture , aucun cri ne semble perturber leur mission. Les bras se lèvent et retombent en cadence frénétique  sur le corps morcelé du coupable se tordant de douleur.

Les fouets et la chicotte, le bâton et la pantoufle , tout ce qui passe sous la main , comme un tambourinement : SOUS PRESSION !

Elles transmettent des générations de frustration, des vies de soumission, dans une société ayant subie tant d’amputation.

Et dans ces turbulences, il y a l’amour…certes entremêlée à la rage et au chaos mais de l'amour...Je dois fendre mes lèvres et illuminer mon visage d'un rire à gorge déployée... et danser ...parler fort en rue, et chiller...
Car si je laisse mon âme s'envahir de mes incompréhensions, je deviens folle... Je deviens folle...


Mon téléphone allumé, j’ai écouté ma mère me sommer de retirer ces 500 euros en découvert pour aider ma famille à affronter les huissiers.

Tremblante , j’ai murmuré qu’il ne m’était pas possible d’honorer leur demande.

Un silence tonitruant de l’autre côté du combiné m’a assommé.

«  Que dis- tu ? Va me retire cet argent et vite ! Tu dois aider ta famille , c’est quel esprit égoïste ça !

-          Je n’ai pas l’argent…Je suis déjà à découvert.

-          Comment ??? déjà à découvert ? et qu’as-tu fais de cet argent ? Toi, si tu vis la vie sache que le Seigneur ne…

-          Je me suis achetée un billet d’avion pour aller en Afrique. »


Peut-être aurait-il été plus simple pour elle que je sois amoureuse d’un homme et que j’eusse dépensé ce trop-plein d’argent pour le voir ou le couvrir de cadeau.

Peut-être aurait-elle mieux accepté si j’avais dépensé cette somme pour m’habiller avec des marques tendances.

Non… J’avais acheté un billet d’avion à 23 ans , pour le Nigeria , étant d’origine congolaise, et n’ayant plus jamais été en Afrique depuis ma plus  tendre enfance…

Je m’étais développée en parallèle à elle, j’avais flirté avec les sites internet et dialogué hors de sa portée. J’avais cru un instant m’être téléporté loin de la pression. Celle-ci m’avait rattrapé en un rien de temps.

L’affrontement  le plus ardu débutait.

Et sur le ring , il n’y avait que ma famille contre moi , bien avant les gouvernements et les terroristes avant les colons et même Satan.

Parce que je les aimais mais  que mon épanouissement  les faisait saigner.

Ce n’était que le prologue.



A nos vies sous pression :

« Donnez- nous la sérénité d’accepter les choses que nous ne pouvons pas  changer
 Le courage de changer les choses que nous pouvons

 Mais surtout, la sagesse d’en connaitre la différence… »
A nos parents qui ne nous comprennent plus.

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