Chapitre : SOUS PRESSION
Auteur : Etali Yo
Noir.
Africain. Sans papier.
Noir. Immigré.
Réfugié.
Noir. Allocation.
Huissiers.
Noir.
Regroupement familial. Sorcellerie.
Noir.
Expulsion. Mise en demeure.
Noir.
Schizophrénie. Hypertension.
Noir de France
, Noir du monde.
Avant les
gouvernements et les terroristes, avant les colons et même Satan , il y avait un plus grand obstacle.
J’essayais.
Je m’accrochais : étude, examens, lectures, conférences.
Comme un
marathon sans chaussure, pied nu tel un
soldat d’Hailé, je devais arpenter ce périple.Les privilégiés ne savent pas, je le dis , les privilégiés ne savent pas ce qu’est le désarroi et l’étau de nos vies.
Il n’y a pas de pause. Nous vivons ces vies d’Africains, de Noirs hybrides , de Noirs de France, de Belgique ou d’Allemagne, sous pression quotidienne.
Je m’en suis rendue compte lorsque j’eus 23 ans. Je vivais mes réflexions vis-à-vis de l’Afrique et de la situation de mon continent au campus universitaire, entre 2 révisions de biochimie quand mon téléphone a sonné.
Et le monde s’est mis à trembler .
Depuis il n’a
plus jamais cessé... m'apprenant à l'affronter avec mon plus grand sourire.
Enfant, les
problèmes étaient réceptionnés par les autres membres du troupeau , je recevais
des éraflures , et des bris de lames.
Comme un nouveau-né
antilope , j’avais appris très tôt à courir et
à détecter le prédateur.
J’étais l’ainée d'une fraterie de 4 enfants. J'étais suivie de trois frères , Jacob , Henoc et Gedeon , agés respectivement de 21 , 19 et 16 ans. Le dernier me considérait comme sa petite mère...
Et sur mes épaules je portais la misère de ma mère, les sacrifices de mes
grands-mères, les torpeurs de mon père, les rêves inachevés de mes oncles, les
sueurs de mon grand-père.
J’étais le
futur portefeuille qui soutiendrait les
projets d’un père fatigué, désorienté, aveuglé par sa soif d’argent.
Ses désirs
irrationnels de fortune sur base de dette, de promesse, de projets chaotiques.
L’homme
Africain amputé de sa dignité, aveuglé par les strasses et le matériel du
Blanc, sans chercher à bâtir en premier lieu les fondements de l’empire.
Une muraille de paille qui s’effondre au premier vent , après tant de sacrifice,
d’abnégation et de travail … Pourquoi les forteresses de la génération
précédente sont-elles si fragiles qu’elles se brisent sur nos nuques et
nous plient sous leur poids ?
Un hurlement
fait de la somme de nos râles et soupirs quotidiens s’élève souvent dans le
calme de l’Occident.
Les
privilégiés ne savent pas.
J’ai agrippé
le téléphone, resserrant le poing comme pour freiner la transmission.
Et lorsque
le combiné a embrassé mon oreille , c’est un tsunami de mot, un jacassement de
son, une panoplie d’horreur qui ont commencé leur danse éternelle.
Eternelle
danse de problèmes... avec laquelle je valse toujours vêtue de mon plus beau sourire...
J’ai cru un
instant qu’épouser un homme Blanc m’éloignerait de ces tumultes. Je n’étais pas
la seule à être traversé par cette idée que les foyers des Occidentaux Blancs,
étaient plus calmes et harmonieux que les nôtres , Occidentaux Noirs… Car où
que nous allions, fuyons, exilions … l’Afrique a ce pouvoir de nous assoir à sa
merci.
Il suffit
que nous lui laissions une infime partie de nos sentiments qu’ils soient d’amour
ou de crainte, ce continent réussit à nous contrôler et nous extorquer.
Sarah me
rapportait que sa mère bien qu’ayant épousé
un homme Blanc, envoie régulièrement de l’argent au village afin que le sorcier
de la famille cesse de la griffer la nuit…
J’ai demandé
à Sarah comment était-ce possible que sa
mère, une scientifique redoutable croit à ses balivernes…Elle m’a lancé un
regard d’opprobre et m’a glissé sèchement sans autre forme d’explication, qu’il
fallait être bien naïf pour ne pas croire à la sorcellerie.
Et quand
bien même il n’était pas question de magie et de fétiches, quand bien même nous
étions éduqués sans aucun contact avec le pays, nous les observions… s’agiter
sur leurs combinés.
Western
Union. Parcelle envahie. Routes coupées . Plus de nourriture dans la moitié de
Kinshasa.
Ce jour-là ,
les problèmes ont commencé leur Ndombolo suivi d’un Twerk endiablé.
Les
huissiers étaient à la porte de la
maison à crédit que mes parents avaient réussi à contracter.On me demandait de retirer 500e sur ma carte Visa, d’aller en découvert et d’envoyer le jour même la somme afin de les empêcher de partir avec des meubles.
« Mais
Maman , Papa est médecin, pourquoi il ne sait pas donner cet argent ? »
C’est à cet
instant que le rideau s’effondre en un tas disgracieux sur le sol de nos vies.
Nos pères si
stricts et sévères, si inquisiteurs et généreux en remontrances , vivaient dans
une folie aveugle qui n’avait qu’un seul objectif : réunir l’argent.
Et leurs
enfants, et leur femme, et les priorités fondamentales à l’homéostasie
familiale étaient bafoués par des pères obnubilés à l’idée de devenir aussi riche que le maître… dans son système… et sur sa terre…
Nos pères
prenant des crédits dans les Banques des anciens Colons, pour financer des
projets concurrents..Nos pères
demandant aux Occidentaux les outils pour créer des structures efficaces et
indépendantes des leurs … ces mêmes pères critiquant des politiques européennes soit disant d’asservissement .Nos pères
obsédés par le paraître une fois de retour au pays, qui n’ont d’objectif que de
construire une énorme villa pour montrer leur réussite au Nord.
Et nos mères
épuisées qui rament à leur côté, colmatant les brèches et gardant le navire à
flot.
« Tu n’as
pas payé les impôts durant 5 ans ? et les assurances ???? Comment cela tu n’as pas payer les échéances du crédit ? Mais pourquoi Barthelemy ? Pourquoi nous fais-tu cela ?
Tes projets demandent-ils que tu sacrifies ta famille ? 20 ans que tu jettes
ton argent auprès d’associés véreux qui te trahissent ! Comment Peux-tu
faire des affaires au pays, sans être au pays ? comment peux-tu faire des
affaires sans signer de contrat ?
Et pourquoi
commences tu toujours avec des grandes sommes ? Tu sais ce que tu fais ?
Tu oses me dire que tu sais ce que tu fais ??? Vingt ans que tu sais ce
que tu fais !!!»
Il hurle. Il
rugit. « Quand j’aurai gagné ce pactole, tu cesseras de me manquer de
respect ! »
Nos mères
qui se courbent au travail , infirmières ou aides-soignantes , elles lavent et portent sur leur vertèbre les manquements de
leurs maris , de leur père, de leur frère.
ci ou là-bas…
mais cela je ne le savais pas encore, les femmes africaines courbent deux fois
l’échine.Une première fois à la dureté de la vie, la seconde fois face aux péripéties de leur époux.
Elles le font une Bible sur le front, un Coran dans le poing , un autel aux Ancêtres dans le coeur.
Imparfaites mais si réelles
, distribuant des coups envers les neveux imposés dans leur foyer, balançant de l’eau de javel dans le regard
insolent d’une belle fille issu du mariage précédent, rasant la chevelure d’une
nièce , mettant du piment dans l’anus d’un fils trop agité.
Et lorsqu’elles
tabassent à la ceinture , aucun cri ne semble perturber leur mission. Les bras
se lèvent et retombent en cadence frénétique sur le corps morcelé du coupable se tordant de
douleur.
Les fouets
et la chicotte, le bâton et la pantoufle , tout ce qui passe sous la main ,
comme un tambourinement : SOUS PRESSION !
Elles
transmettent des générations de frustration, des vies de soumission, dans une
société ayant subie tant d’amputation.
Et dans ces
turbulences, il y a l’amour…certes entremêlée à la rage et au chaos mais de l'amour...Je dois fendre mes lèvres et illuminer mon visage d'un rire à gorge déployée... et danser ...parler fort en rue, et chiller...
Car si je laisse mon âme s'envahir de mes incompréhensions, je deviens folle... Je deviens folle...
Mon
téléphone allumé, j’ai écouté ma mère me sommer de retirer ces 500 euros en
découvert pour aider ma famille à affronter les huissiers.
Tremblante ,
j’ai murmuré qu’il ne m’était pas possible d’honorer leur demande.
Un silence
tonitruant de l’autre côté du combiné m’a assommé.
« Que
dis- tu ? Va me retire cet argent et vite ! Tu dois aider ta famille
, c’est quel esprit égoïste ça !
-
Je n’ai pas l’argent…Je suis déjà à découvert.
-
Comment ??? déjà à découvert ? et qu’as-tu
fais de cet argent ? Toi, si tu vis la vie sache que le Seigneur ne…
-
Je me suis achetée un billet d’avion pour aller
en Afrique. »
Peut-être aurait-il
été plus simple pour elle que je sois amoureuse d’un homme et que j’eusse
dépensé ce trop-plein d’argent pour le voir ou le couvrir de cadeau.
Peut-être aurait-elle
mieux accepté si j’avais dépensé cette somme pour m’habiller avec des marques
tendances.
Non… J’avais
acheté un billet d’avion à 23 ans , pour le Nigeria , étant d’origine
congolaise, et n’ayant plus jamais été en Afrique depuis ma plus tendre enfance…
Je m’étais
développée en parallèle à elle, j’avais flirté avec les sites internet et
dialogué hors de sa portée. J’avais cru un instant m’être téléporté loin de la
pression. Celle-ci m’avait rattrapé en un rien de temps.
L’affrontement
le plus ardu débutait.
Et sur le
ring , il n’y avait que ma famille contre moi , bien avant les gouvernements et
les terroristes avant les colons et même Satan.
Parce que je
les aimais mais que mon
épanouissement les faisait saigner.
Ce n’était
que le prologue.
A nos vies
sous pression :
« Donnez- nous la sérénité d’accepter les choses que nous ne pouvons pas changer
Le courage de
changer les choses que nous pouvons
A nos parents qui ne nous comprennent plus.
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